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Le développement démocratique en période de turbulence

 

Arjan de Haan

Spécialiste de programme principal(e), CRDI

La pauvreté, l’insécurité alimentaire et les conflits posent de grands défis à la démocratie en érodant les fondements sociaux et économiques grâce auxquels des sociétés ouvertes et justes s’épanouissent. Ces dernières années, ces facteurs ont contribué à la montée de mouvements populistes et engendré un nombre sans précédent de réfugiés; ces réalités nouvelles menacent de miner les institutions démocratiques dans le monde en développement. Les événements qui secouent, entre autres, le Venezuela, la Syrie et le Myanmar, semblent mettre en péril la notion même de démocratie, et attirent l’attention sur l’urgence d’agir pour la protéger.

Depuis longtemps, le CRDI soutient des projets et des recherches visant à s’attaquer aux inégalités qui freinent la démocratie et à atténuer les facteurs qui sont susceptibles de déstabiliser les États fragiles. Nous croyons que, en aidant les chercheurs et les responsables des politiques à éliminer les obstacles qui empêchent la démocratie de fleurir dans leur pays, nous contribuons à la concrétisation de changements positifs. Dans un récent témoignage que j’ai livré au Comité permanent des Affaires étrangères et du Développement international de la Chambre des communes, j’ai insisté sur l’importance des efforts à déployer pour corriger les lacunes sur le plan des connaissances et pour trouver des solutions efficaces.

Faire la guerre aux fausses nouvelles pour préserver les processus démocratiques

Pour lutter contre les fausses nouvelles, le CRDI soutient, entre autres, une initiative qui vise à garantir l’accès à de l’information publique fiable. Si les fausses nouvelles et la désinformation sont extrêmement courantes, la recherche d’information objective et fiable s’avère parfois extrêmement difficile. Les rumeurs et les faussetés empêchent les gens de prendre des décisions éclairées; elles attisent l’hostilité et éveillent la méfiance et, dans le pire des cas, elles engendrent la violence et les conflits.

En 2012, dans le sud-est du Kenya, les fausses rumeurs et les exagérations au sujet de soi-disant affrontements ou attaques imminentes ont nourri de violents conflits entre deux groupes ethniques. Pas moins de 170 personnes ont été tuées et 40 000 autres ont été déplacées. L’année suivante, le CRDI a fait équipe avec le Sentinel Project, une organisation non gouvernementale de Toronto, dans le but de comprendre de quelle façon les rumeurs se sont répandues. Le manque d’informations fiables dans la région et la désinformation systématique en sont les principaux responsables.

En tenant compte des conclusions du projet, une application de téléphonie mobile appelée Una Hakika a été lancée pour contribuer à rétablir la paix. Lorsqu’une rumeur se met à circuler, les abonnés de l’application peuvent signaler celle-ci afin que le service en vérifie l’authenticité. Les bénévoles de la collectivité et la police locale enquêtent alors sur la rumeur et rendent compte de la situation à l’aide de messages texte et d’appels vocaux et à l’aide de Facebook.

Deux ans après le lancement d’Una Hakika, environ 45 000 personnes, établies dans 17 villages, avaient utilisé régulièrement ce service quotidien gratuit. La nouvelle s’est répandue et, en 2017, les services d’Una Hakika ont contribué à apaiser les tensions pendant les élections générales et présidentielles du Kenya. Aujourd’hui, 250 000 personnes de plus ont recours à ce service au Kenya.

En prenant appui sur cette réussite, nos partenaires sont en train d’adapter le service aux particularités du Myanmar, où un projet similaire, Peaceful Truth, s’efforce de démentir les rumeurs haineuses à l’encontre des musulmans, et à sept autres pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Europe.

Rechercher la stabilité pour les états vulnérables qui ont de grandes populations de réfugiés

La stabilité est une autre condition essentielle à la démocratie, mais elle est difficile à atteindre dans les pays qui font face à un afflux massif de réfugiés. À l’échelle mondiale, 25 millions de personnes ont dû fuir leur pays pour échapper à la persécution et à la misère, et 85 % d’entre elles se sont réfugiées dans des pays qui ont peu de moyens et de ressources pour les appuyer et les intégrer.

Le fardeau social et économique est lourd et les citoyens des pays d’accueil perçoivent souvent les nouveaux arrivants comme une menace pour leur bien-être. Cela attise les tensions et fait naître des mouvements populistes qui menacent de déstabiliser des pays et des régions entières.

Au Liban, où une personne sur six est un réfugié, le CRDI finance des recherches qui visent à mieux comprendre comment utiliser de façon optimale des ressources limitées. Certains services, par exemple, les soins de santé, sont déjà à bout de souffle, et sans données de qualité sur la santé, il est difficile d’évaluer les besoins avec précision et de fournir des services appropriés aux différentes populations. Les conclusions de ces recherches aident à mettre en place les compétences et les processus nécessaires pour déterminer où diriger les ressources en fonction des besoins et comment utiliser celles-ci de manière efficiente, efficace et équitable.

L’objectif ultime du projet est d’alléger le fardeau des soins de santé du Liban, d’améliorer les soins et les services destinés aux réfugiés et aux communautés d’accueil, et de contribuer à garder en santé la démocratie du pays, lorsqu’il est question de l’aide aux pays voisins.

Réussir la transition démocratique à l’aide de la recherche sur les politiques

Depuis près de 50 ans, le CRDI collabore avec des chercheurs et des décideurs dans le but d’appuyer la transition démocratique en Afrique du Sud, au Chili et au Vietnam, notamment.

Aujourd’hui, au Myanmar, nous participons à une initiative de cinq ans en partenariat avec Affaires mondiales Canada. L’objectif de cette initiative est de soutenir, après des décennies de sous-investissement en recherche et en enseignement supérieur, la prise de décisions fondées sur des données probantes. En offrant un programme de formation et de mentorat aux futurs dirigeants, en appuyant des groupes de réflexion indépendants et en accordant des subventions de recherche, nous soutenons une nouvelle génération d’acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux, qui seront outillés pour produire des connaissances solides et utiles sur le plan des politiques. Ces acteurs entreprendront un débat public ouvert et donneront la parole aux femmes et à d’autres groupes vulnérables. Une fois ces éléments en place, il sera possible d’ancrer solidement le développement démocratique du pays.

Le temps est venu de mettre un accent nouveau sur le développement démocratique et de renouveler notre engagement à long terme. Notre expérience nous montre que, lorsque nous les dotons des connaissances et des outils dont ils ont besoin, les chercheurs et les décideurs ont tout ce qu’il faut pour produire les données nécessaires à l’érection de sociétés démocratiques et prospères, qui sont à même de conduire à une nouvelle ère d’espoir et de changement.