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Faire tomber les barrières : comment s’attaquer au sujet tabou de la sexualité peut conduire à de meilleurs résultats en Afrique subsaharienne

 

Chaque année, environ 21 millions de filles âgées de 15 à 19 ans dans des régions du monde à faible revenu et à revenu intermédiaire tombent enceintes. Les complications de la grossesse et de l’accouchement sont la principale cause de décès chez ces jeunes femmes. Des travaux de recherche révolutionnaires financés par le CRDI et réalisés au Burkina Faso, au Kenya, au Nigéria et en Gambie produisent des données probantes et mettent à l’essai des solutions novatrices pour résoudre le problème grâce à une éducation complète à la sexualité (ECS) chez les adolescentes et adolescents.

Le problème : la Gambie comme étude de cas 

Les préoccupations concernant la santé sexuelle et reproductive des adolescents (SSRA) en Afrique subsaharienne augmentent, et les données probantes montrent qu’il est urgent de trouver des solutions. La Gambie est un exemple qui illustre l’ampleur du problème. Dans un projet de recherche qui a évalué les perceptions des adolescentes et adolescents à l’égard de l’éducation sexuelle, l’équipe de recherche a déterminé que, dans une région, par exemple, une fille gambienne sur cinq âgée de 15 à 19 ans est déjà mère ou enceinte de son premier enfant.

À l’instar d’autres pays de l’Afrique subsaharienne, le pays connaît également une augmentation des taux d’infections transmissibles sexuellement, de grossesses chez les adolescentes hors mariage et de grossesses non désirées. Les conséquences? Avortements dans des conditions insalubres, expulsion de la maison, déshonneur pour la famille de la fille et pour elle-même, décrochage scolaire, négligence et abus envers les enfants.

À la racine de ce problème se trouvent le manque de renseignements fiables et opportuns sur la santé sexuelle et reproductive (SSR), la désinformation sur le sexe et l’accès limité aux services de SSRA.

La solution : une éducation complète à la sexualité 

L’éducation complète à la sexualité (ECS) fournit aux jeunes de l’information précise et adaptée à leur âge sur la sexualité et leur santé sexuelle et reproductive, ce qui est essentiel à leur développement, à leur santé physique et à leur survie. Cette approche fondée sur le curriculum inculque aux enfants et aux jeunes  des compétences, des attitudes et des valeurs qui leur permettent de :

  • gérer les changements physiques et émotionnels de l’adolescence; 
  • mener une vie saine et digne, éviter les mauvais traitements et apprendre à y faire face; 
  • faire preuve de respect dans leurs relations sociales et sexuelles; 
  • réfléchir à leurs choix et à leur impact à vie; 
  • comprendre leurs droits et savoir comment les protéger.
Media
Un groupe de discussion composé de jeunes mères adolescentes enceintes et allaitantes se réunit à Sare Jam Gido dans la région de North Bank en Gambie.
SOCIETY FOR THE STUDY OF WOMEN’S HEALTH
De jeunes mères adolescentes enceintes et allaitantes se réunissent pour une discussion de groupe sur la santé sexuelle et reproductive à Sare Jam Gido, dans la région de North Bank, en Gambie.

L’ECS peut être assurée dans des cadres officiels et non officiels, notamment à la maison, à l’école et au sein de la collectivité. Lorsque les jeunes ont accès à une ESC de haute qualité, on constate une incidence positive sur leur vie. Comme le rapporte l’Organisation mondiale de la Santé : « Les jeunes sont plus enclins à retarder le début de leur activité sexuelle – et lorsqu’ils ont des relations sexuelles, à avoir des rapports protégés – s’ils sont mieux informés sur leur sexualité, leur santé sexuelle et leurs droits. » L'ESC leur enseigne le respect, le consentement et la façon d’obtenir de l’aide s’ils en ont besoin, ce qui réduit le risque de violence, d’ exploitation et d’abus. 

Leçon 1 : Avec l’amélioration de l’éducation sexuelle, la culture du silence s’estompe 

L’étude menée en Gambie a révélé que les adolescentes et adolescents n’étaient pas satisfaits de ce qu’ils apprenaient à l’école. L’équipe de recherche a découvert que :

  • le contenu de l’éducation sexuelle ne répond pas aux besoins des élèves;
  • le personnel enseignant n’a pas la formation ou le matériel pédagogique appropriés;
  • les écoles n’accordent pas la priorité à l’éducation sexuelle. 

La plupart des problèmes pourraient être réglés si nous étions informés […] et éduqués en matière d’éducation sexuelle. […] Malheureusement, il n’y a rien de tel dans nos écoles. Il n’y a personne pour nous éduquer.

Élève de la 11e année

L’équipe de recherche a mis en œuvre les activités suivantes qui présentent un grand potentiel de réplication dans d’autres écoles :

  • Éducation complète à la sexualité dans les écoles de Banjul, la capitale, pour informer les enfants et les principaux responsables de la SSRA. L’équipe d’intervention a adopté une approche créative, ayant recours au théâtre et à la cinématographie pour autonomiser les filles et les garçons grâce à l’information et aux services de SSRA. Ils ont formé des membres du personnel enseignant et mené des activités de sensibilisation ciblant les dirigeantes et dirigeants communautaires, les décideuses et décideurs politiques et les responsables de l’éducation. L’équipe a organisé une caravane de sensibilisation du public pour éduquer les jeunes et les adultes, et a tenu des réunions périodiques avec les membres de la collectivité et les conseils scolaires pour les sensibiliser aux besoins de la SSRA. Les efforts de sensibilisation communautaire ont mené à la création de groupes permanents de femmes âgées pour conseiller les adolescentes et adolescents. 
  • Formation sur la fabrication de serviettes hygiéniques réutilisables afin de réduire l’absentéisme et le décrochage scolaires en raison des menstruations chez les élèves de la 8e à la 11e année et les membres du personnel enseignant de la St. John’s School for the Deaf, près de Banjul. Les élèves ont acquis des connaissances au sujet de leurs règles, de leurs cycles menstruels, de l’ovulation et de ses signes et symptômes, ainsi que du syndrome prémenstruel.

Message clé : Grâce à l’éducation et à la sensibilisation, les jeunes, les membres du personnel enseignant, les parents et les responsables communautaires deviennent plus ouverts à l’idée de parler du « sujet tabou » de la SSRA. 

Leçon 2 : Les normes et les attentes liées au genre ont une incidence sur la santé sexuelle des adolescentes et adolescents 

Les jeunes à l’adolescence sont souvent négligés dans les initiatives d’éducation sexuelle. Alors que leur sexualité ne fait que commencer, c’est un moment important pour l’éducation sur les rôles sexospécifiques et la SSRA. Un projet mené au Burkina Faso, au Kenya et au Nigéria a réussi à sensibiliser les collectivités, les écoles et les gouvernements aux effets négatifs de la socialisation sexospécifique sur les résultats en matière de santé sexuelle chez les adolescentes et adolescents âgés de 10 à 15 ans.

L’équipe de recherche a adopté des approches participatives pour mobiliser les jeunes adolescentes et adolescents, le personnel administratif scolaire, le corps enseignant, les parents, les dirigeantes et dirigeants communautaires et les décideuses et décideurs. Les jeunes participants ont appris à reconnaître et à éviter les circonstances qui les mettent à risque, comme la toxicomanie, la violence et la criminalité, et les prédisposent à de mauvais résultats de SSRA, comme les grossesses non désirées et les infections transmissibles sexuellement.

Les résultats de la recherche et les recommandations ont conduit à un accord visant à réviser le programme d’études secondaires dans les écoles nigérianes afin d’y inclure l’ECS, des révisions des programmes d’études au Burkina Faso et l’amélioration du dialogue parent-enfant au Kenya. Les enseignantes et enseignants des trois pays ont indiqué que le projet leur avait offert des connaissances précieuses et changé leur perception du genre et de la sexualité.

Message clé : Investir dans la sensibilisation précoce des jeunes adolescentes et adolescents (âgés de 10 à 15 ans) peut changer les perceptions liées au genre et à la sexualité de manière positive et conduire à de meilleurs résultats de SSRA. 

Leçon 3 : Les interventions communautaires codéveloppées améliorent les résultats 

Un projet dans l’État d’Ebonyi, au Nigéria a adopté une approche novatrice et intégrée à la collectivité pour développer des interventions de SSRA afin d’améliorer la communication et de renforcer les relations au sein des familles et des collectivités, de même qu’avec les membres du personnel enseignant et les prestataires de services de santé.

Des membres de la communauté de recherche et des partenaires non universitaires ont coproduit des stratégies pour la prestation d’interventions en matière de santé des adolescentes et adolescents. Le groupe non universitaire comprenait des personnes représentant le gouvernement, des cheffes ou chefs traditionnels, des partenaires au développement, des organisations religieuses et des groupes d’adolescentes et d’adolescents. Ensemble, ils ont mis en œuvre plusieurs activités, notamment :

  • Une plus grande ouverture sur l’éducation sexuelle : Ils ont planifié et organisé une table ronde sur la SSRA avec des élèves et des membres du personnel enseignant de dix écoles, produit des émissions de radio et de télévision pendant les confinements liés à la COVID-19, et lancé des clubs de santé dans les écoles et des campagnes de sensibilisation avec les parents et les dirigeantes et dirigeants communautaires. 
  • Formation ECS pour le personnel de santé : Ils ont formé plus de 240 agentes et agents de santé et prestataires de services de santé de première ligne sur la façon de fournir des services de SSRA complets et conviviaux. 

Certaines personnes étaient opposées à l’enseignement de la contraception aux adolescentes et adolescents, mais après l’étude de base et la série d’engagements dans la conception de stratégies, j’ai remarqué que certaines personnes qui considéraient que discuter de questions sexuelles avec les jeunes à l’adolescence était "tabou" ont commencé à penser différemment. La consultation leur a fait changer d’avis, et nos parties prenantes estiment maintenant que nous devons fournir des renseignements sur la SSR aux adolescentes et adolescents et de l’information sur la contraception aux personnes sexuellement actives.

Chercheuse universitaire participante

Le résultat est que la SSRA est maintenant devenue une priorité dans l’État d’Ebonyi. Les responsables de l’éducation ont revitalisé l’ECS dans le programme des écoles secondaires et la demande de services de SSRA a augmenté. L’équipe de recherche a également signalé que les voies de communication sont beaucoup plus ouvertes sur les problèmes de SSRA dans les écoles, les familles et les collectivités.

Message clé : Les approches collaboratives peuvent changer les mentalités sur les questions de SSRA. Les partenaires ayant des points de vue plus traditionnels sur la contraception chez les adolescentes ont progressivement changé leur position en fonction des données probantes du projet de recherche concernant les mauvais résultats en matière de SSR chez les adolescentes et adolescents. 

Célébration du 30e anniversaire de la Conférence internationale sur la population et le développement de 1994

Il y a près de 30 ans, la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) tenue en 1994 au Caire, en Égypte, a vu l’adoption d’un plan d’action qui soulignait les liens qui se renforcent mutuellement entre la population et le développement, et qui encourageait l’autonomisation des femmes à la fois comme une fin très importante en soi et comme la clé de l’amélioration de la qualité de vie de tous. À la mi-2024, l’UNFPA a publié cinq documents de réflexion pour marquer le 30e anniversaire de la CIPD, dont l’un s’intitule « L’avenir de la santé et des droits sexuels et reproductifs ».

L’une des mesures recommandées dans cet article est que « les pays où la population d’adolescentes et d’adolescents est importante et croissante voudront mettre en avant une éducation complète à la sexualité (ECS), y compris l’assurance de la qualité pour le volume croissant d’ECS en ligne, et par le biais d’une éducation fondée sur les valeurs formatrices sur la SDSR et l’égalité des genres. Les pays dont la population est vieillissante ont des besoins croissants en matière d’éducation pour les personnes âgées aux prises avec des problèmes de santé sexuelle liés à l’âge. L’éducation à la santé peut être utilisée plus largement pour inciter les jeunes, ainsi que les hommes et les garçons, à remettre en question les normes sociales et sexospécifiques négatives et à défendre les normes positives, et à remettre en question les normes culturelles de la violence fondée sur le genre, y compris celle facilitée par la technologie. » Par conséquent, l’ECS doit demeurer une priorité. 

Faits saillants

Des leçons importantes ont été tirées de ces projets, qui ont donné lieu à des recommandations pour les gouvernements, les responsables des écoles, les dirigeantes et dirigeants communautaires, les organisations non gouvernementales, les praticiennes et praticiens et la communauté de recherche : 

  • Déconstruire les normes sexospécifiques néfastes des parents, des dirigeantes et dirigeants communautaires et d’autres responsables en s’attaquant aux croyances et aux attitudes à l’échelon communautaire. 
  • Faire participer les parents, les membres du corps enseignant, les dirigeantes et dirigeants communautaires, les agentes et agents de santé et les jeunes à la conception conjointe de stratégies en vue d’accroître l’appropriation, l’adoption et l’acceptabilité des interventions de SSRA. 
  • Intégrer la sexualité, la santé sexuelle et les droits sexuels dans le programme d’études du secondaire. Former les filles et les membres du personnel enseignant à la fabrication de serviettes hygiéniques réutilisables pour mettre fin à la pauvreté menstruelle – l’incapacité d’acheter des produits d’hygiène menstruelle et d’avoir accès à des installations d’hygiène, à de l’éducation et à de la sensibilisation pour gérer la santé menstruelle – dans les écoles. 
  • Planifier des séances axées sur les parents pour accroître leur sensibilisation à la SSRA. Les parents sont des sources d’information importantes et fiables pour les adolescentes et adolescents. 
  • Explorer les normes de genre qui ont une incidence sur les résultats de la SSRA dans les recherches futures. Une meilleure compréhension des normes sexuelles sexospécifiques est importante pour produire les changements souhaités et durables dans le comportement sexuel.